Faut-il avoir peur de Booking.com ?
Booking.com Spécialiste de la vente de réservations hôtelières en ligne, avec 300 000 nuitées réservées par jour dans le monde, Booking.com entre à petits pas sur le marché des campings, où il aurait déjà signé avec environ quatre-vingts établissements en France d’après nos constatations. Quels sont les premiers résultats chez les campings qui l’utilisent et quelles sont les appréciations –contrastées– des professionnels sur l’arrivée de ce nouvel acteur ?
Booking.com Spécialiste de la vente de réservations hôtelières en ligne, avec 300 000 nuitées réservées par jour dans le monde, Booking.com entre à petits pas sur le marché des campings, où il aurait déjà signé avec environ quatre-vingts établissements en France d’après nos constatations. Quels sont les premiers résultats chez les campings qui l’utilisent et quelles sont les appréciations –contrastées– des professionnels sur l’arrivée de ce nouvel acteur ?
Sommaire
Booking intègre le marché des campings
Dans le secteur du tourisme, voilà plusieurs années que les géants du Net, français ou mondiaux, ont étendu leur domaine à l’hôtellerie de plein air, et qu’ils travaillent, en direct ou via d’autres acteurs plus spécialisés, avec des campings. On ne s’étonne plus d’en trouver sur Voyages-SNCF, Expedia ou Opodo par exemple.
Selon sa présentation en ligne, Booking.com enregistre chaque jour plus de 300 000 nuitées chez plus de 5 000 partenaires, ce qui donne une idée de la taille de cet opérateur. Nous n’avons pas réussi à échanger avec Booking.com, après plusieurs appels téléphoniques et mails –une de nos interlocutrices à Paris nous a indiqué qu’il faut un certain temps pour que la demande soit examinée au siège d’Amsterdam puis que la réponse revienne.
Une interface très hôtelière
Une première remarque s’impose lorsque l’on utilise le site en français : son interface de réservations est principalement hôtelière et ne propose pas directement de campings. On peut choisir dans différentes fourchettes de prix, selon le nombre d’étoiles, l’équipement, mais pour le type d’hébergement les options sont : appartement, hôtel, chambre d’hôtes, auberge de jeunesse, complexe, résidence, motel et Bed & Breakfast. L’absence de mention de l’hôtellerie de plein air montre que c’est une extension récente dans l’offre du site. En parcourant les différentes options, on constate que c’est dans la partie « complexe » que sont rangés les campings.
Pour tenter d’avoir une idée de cette offre en hôtellerie de plein air, nous avons saisi une recherche pour une semaine de juin, en tapant simplement « camping ». La réponse indique « 470 options », mais le début des établissements proposés sont hors France, principalement en Espagne et en Italie, suivis par la Grèce puis d’autres pays (Suède, Norvège, Croatie…). Le premier français de la liste est un camping des Landes. Mais en cliquant dessus, nous obtenons en tête de sa page de présentation la mention « il est impossible d’effectuer une réservation pour cet établissement. Cliquez ici pour voir les hôtels à proximité».
Une recherche en saisissant France et camping nous renvoie 83 options (sur 14 312 hôtels).
Des gestionnaires qui apprécient
Pascale Imboden, gérante-propriétaire du camping Le Kerleyou (3 étoiles de 100 places dont 41 locations) à Douarnenez (Finistère) travaille depuis peu de temps avec Booking. « On y est en ligne depuis quelques semaines. On a pas mal de résas, une, deux ou trois nuits sur le hors saison, avril, mai, juin, Nous l’utilisons pour toutes les périodes, s’il y a de la disponibilité. On met le nombre de locations que l’on souhaite, c’est très souple. Il n’y a pas de linéaire tenu absolument, en été nous les avons mis à la semaine, en ouvrant des périodes, et à lanuit le reste du temps. Il n’y a pas de minimum, et la commission est de 15% sur le montant de la résa. Nous travaillons avec Octopode depuis plusieurs années, c’est la même façon de travailler. Nos tarifs sont identiques sur leurs sites, c’est nous qui pouvons faire des promos. »
Pour Lionel et Bettina Allet, gérants du camping Les Hirondelles 3 étoiles à Bourg-Sainte-Marie, Haute-Marne), c’est un autre cas de figure. Ils ont pris voilà cinq ans la gérance de ce petit établissement (54 emplacements, huit chalets) qui appartient à une communauté de communes, et sont présents depuis février dernier sur Booking.com. « Nous ne sommes pas dans une zone particulièrement touristique, nous explique Lionel Allet, et sauf de fin juin à fin août nous n’avons pas beaucoup de longs séjours. C’est pourquoi c’est intéressant de travailler avec Booking.com. À Pâques, avant nous n’avions que du passage et pas de séjour, et le week-end de Pâques nous louions au mieux un ou deux chalets. Cette année, ce week-end là était complet. Et compte tenu de ce qui est déjà en train d’arriver, c’est loin d’être négligeable. Nous gérons notre offre, avec le choix des périodes. »
l’indépendance des campings en question
Pour Jean-Guy Amat, directeur du Yelloh ! Village Sérignan Plage (3étoiles à Sérignan, Hérault), les intermédiaires du Net comme Booking.com ne présentent que des inconvénients.
« Nous avons aujourd’hui la chance d’avoir un mode de distribution historique qui fonctionne en direct, ce qui nous économise les 20 à 25% de commission que nous demandent les intermédiaires, agences de voyages et tour-opérateurs. L’arrivée d’Internet a permis d’étendre le système à la vente en ligne, d’aller en ce sens grâce à une société comme CToutVert qui, avec Secure holiday, a développé un modèle économique très peu coûteux pour les gestionnaires. Ça nous a permis de ne pas trop souffrir du déclin des agences de voyages et des TO, alors que la vente en ligne prend une part prépondérante de la distribution».
« Nos marges sont en danger »
Les campings, observe-t-il, peuvent se vendre par des sites de chaînes, par des portails comme CampingFrance.com [NDLR: qui appartient au même groupe que L’OT], et tous les campings, petits ou grands, ont accès à une distribution en fonction de la disponibilité. « Cette information, qui a fait la force de Booking, la profession l’utilise. Nous avons pu nous exonérer de ce qui demain siphonnerait notre marge comme c’est arrivé à l’hôtellerie, qui doit verser 15 à 20% aux intermédiaires. Le plus gros client du groupe Accor à Paris, c’est maintenant Booking», s’exclame Jean-Guy Amat. Selon lui, « il y a un risque de perdre notre indépendance et de voir baisser la valeur de notre fonds de commerce. On a tous intérêt à être vigilants et à freiner ces systèmes, Booking.com, TripAdvisor et autres».
Autre reproche qu’il adresse à ce type d’acteurs, leurs systèmes de discount : « Certains opérateurs mettent en ligne des prix « discountés » pour améliorer la place dans les comparateurs. Les clients de l’établissement eux-mêmes trouvent des tarifs moins chers. Il ne faudrait pas que nos clients traditionnels se trouvent lésés par rapport aux offres qu’ils vont trouver sur ces sites. L’été dernier, certains TO achetaient en linéaire des mobiles-homes en haute saison, entre le 1er juillet et le 30 septembre, et les vendaient cher sur leur marché domestique et « discounté » ailleurs. À certaines périodes, on a vu des prix à 30 ou 40% de moins que les prix du camping lui-même. L’effet d’image est désastreux, ça pousse à abandonner l’achat en direct, même si ce ne sont que des opérations éphémères qui portent sur de très petites quantités. »
L’enjeu des avis consommateurs
A côté des appréciations de campings ayant commencé à travailler avec Booking.com et de l’approche critique d’un dirigeant qui refuse ce type de site, comment d’autres spécialistes de la réservation par Internet voient-ils l’arrivée de ce géant généraliste?
Étienne Page, directeur général de Thelis (Resa.net et Webcamp), que nous avons interrogé sur l’expérience des campings espagnols, où Booking.com est arrivé il y a deux ans, note de leur retour d’expérience que Booking a « lancé des offres importantes dans ce secteur. Ils sont arrivés avec une offre très peu importante en haute saison, de l’ordre d’un ou deux mobile-homes et 5% de commission, et plus grosse en basse saison, avec un taux de commission standard, plus classique».
« Une force de frappe très importante »
Pour le dirigeant de Thelis : « Booking a une force de frappe très importante, même si l’hôtellerie de plein air n’est pas son domaine. Ils ont réalisé une très forte progression dans ces campings espagnols –qui, ne l’oublions pas, sont assez différents des campings français, étant ouverts toute l’année. Ils sont arrivés dans plusieurs campings à représenter 30% de la commercialisation en basse saison. À ce niveau-là, la grande question ensuite est forcément : que se passerait-il pour ces campings si Booking leur demandait nettement plus de disponibilités en haute saison pour continuer à les vendre en basse saison? C’est un gros risque de toute manière de donner 30 ou 40% de son chiffre d’affaires, même en basse saison, à un seul acteur. »
Pour autant, relativise Étienne Page, les différences entre les offres espagnole et française ne permettent pas d’imaginer la même situation: « En France, il n’y a pas la même typologie, avec des campings qui à 90% ouvrent d’avril à septembre et pas toute l’année. »
« Ils sont plutôt spécialisés centre-ville »
Comment est vu un site comme Booking.com par un « pure player » (acteur exclusivement en ligne) tel qu’Octopode ? Nous l’avons demandé à son directeur associé Luc Dayen, qui nous répond que « c’est un concurrent plus qu’un complément à notre propre activité. Ce ne sont pas des spécialistes du balnéaire, ils sont plutôt spécialisés centre-ville et davantage sur les nuitées que sur les séjours : je ne pense pas que ce sera une énorme vague de réservations pour les campings. Nous le voyons par les résidences de tourisme avec lesquelles nous travaillons beaucoup et eux aussi. Leur métier de base c’est l’hôtellerie de centre-ville. Ensuite, on verra ce que donne leur arrivée sur un nouveau marché, même si je ne crois pas que ça le révolutionnera. Mais c’est vrai que depuis quelques mois on entend parler de leur envie de venir sur ce secteur».